1993, le TGV à Lille

Publié le par Guy Le Flécher


16 juin 1842, un train relie pour la première fois Paris à Lille,
26 septembre 1993, le TGV met les deux villes à moins d’une heure. Deux dates symboles pour une histoire vieille de plus de 150 ans. Deux dates trop sèches pour dire combien l’histoire du Nord industriel et celle du chemin de fer sont parallèles. Combien ils ont vécu au même rythme.

Pendant des décennies, le train a accompagné le développement économique de la région, transportant vers la capitale le fruit de sa peine. Aux heures les plus sombres, il a conduit ses fils vers les champs de bataille. Aux heures où sonnait l’espoir des jours meilleurs, le train gagnait les plages du Nord avec les premiers « congés payés ». Aux petites heures du matin, il déverse toujours ses flots de travailleurs. Et à la fin des années 80, quand, après une période de mutation éprouvante, la région s’est remise à espérer en son avenir, le TGV est devenu porteur de son espérance. En 1993, le TGV-Nord replace notre région au cœur de l’Europe.

Pendant plus d’un siècle, le Nord-Pas-de-Calais a été l’un des pôles de l’industrie ferroviaire. Des forges de Cail, de Fives…, sont sorties les plus prestigieuses locomotives. D’autres encore ont porté bien haut la renommée du Nord. Mais de restructuration en restructuration, la liste des constructeurs disparus prend des allures d’appel aux morts. En 1993,  les machines les plus renommées ne sortent plus des ateliers du Nord, pourtant la région reste un haut lieu de la construction ferroviaire avec le métro automatique, la navette transmanche…

On imagine difficilement aujourd’hui à quel point, depuis son invention, le train a compté dans la vie des femmes et des hommes du Nord Pas-de-Calais. Le train et l’activité ferroviaire ont accompagné la véritable révolution industrielle engagée au milieu du XIXe siècle en irriguant profondément et durablement nos campagnes, en bouleversant l’économie, les habitudes et les modes de vie et en ouvrant la communication entre les villes. Objets de curiosité, de passions exclusives, d’enthousiasme ou de rejet, espoirs d’évasion, « trains de plaisirs » (comme on disait pour ceux qui emmenaient les vacanciers à la mer), mais aussi trains du textile, de la mine et de la sidérurgie, les trains du Nord-Pas-de-Calais sont intimement liés à notre Histoire, et à nos combats incessants pour tirer de cette terre le bonheur d’y vivre et d’y rester.

Il a fallu de l’audace pour ouvrir les villes au trafic, construire des gares, tirer des voies et vaincre des réticences irrationnelles. N’est-il pas amusant de penser que Jules Verne lui-même, l’écrivain pourtant visionnaire, s’était opposé en sa qualité de Conseiller Municipal d’Amiens au passage des trains dans sa ville !

Cet anniversaire a le mérite de rappeler que l’audace ne doit jamais manquer et que la nouvelle « bataille du rail » qui a été menée, dès 1986, par Pierre Mauroy pour le passage du TGV à Lille, c’est-à-dire au cœur de la capitale régionale et non à plusieurs kilomètres de là dans la campagne, était non seulement logique mais vitale pour notre avenir. Les élus de toutes collectivités, les représentants des chambres consulaires, les décideurs économiques de notre région et les représentants des mouvements sociaux ou associatifs qui ont rejoint Pierre Mauroy dès 1987 au sein de l’Association TGV-Gares de Lille l’avaient bien compris. C’est avec eux qu’a été mené et réussi un combat collectif qui a conduit l’Etat et la SNCF à prendre une décision favorable. Qu’il me soit permis, aujourd’hui, de rendre hommage à leur engagement et à leur clairvoyance.

C’est grâce au croisement des TGV à Lille que le projet Euralille a pu voir le jour avec ses promesses de développement économique pour la Métropole. C’est dire qu’à côté de cette autre réalisation dont il est le complément, le tunnel sous la Manche, le TGV symbolise véritablement la volonté de renouveau économique du Nord-Pas-de-Calais.

La France entière s’est enthousiasmée pour le TGV. Les performances de ce train lui rappelaient qu’elle était toujours un grand pays ferroviaire même industriel.

Au milieu des années 80, le Nord-Pas-de-Calais est plongé dans l’un des moments les plus difficiles de son histoire, pourtant, déjà bien douloureuse. La reconversion industrielle entraîne la fermeture des puits de mines, des compressions de personnels dans les ateliers, les usines sidérurgiques.

Quelques années plus tard, l’arrivée de ce train du futur, dans cette région, où tous les cantons, toutes les villes n’avancent pas d’un même pas vers le XXIe siècle, a été ressentie comme le signal tangible d’un avenir meilleur en Europe.

Conjuguée avec la construction du tunnel sous la Manche, l’arrivée du TGV est à l’origine d’un pari extraordinaire sur demain : la naissance d’un centre d’affaires, de commerces et de services autour de la gare de Lille-Europe. De sa réussite dépendait l’avenir de Lille dans l’Hexagone.

Lancé par Pierre Mauroy, alors Maire de Lille, ce pari a été favorisé par une prise de conscience collective loin de tout esprit partisan. Une fois n’est pas coutume, on l’a souligné, la région, ou presque, s’est retrouvée. Elle a su profiter de l’opportunité qui s’offrait à elle avec le passage de ce train. L’association TGV-Gares de Lille, regroupant des villes, des collectivités et organismes qui méritent d’être cités : Lille, Roubaix, Tourcoing, Villeneuve d’Ascq, Mons-en-Baroeul, La Madeleine, le Conseil Général du Nord, le Conseil Régional, la CCI de Lille-Roubaix-Tourcoing, Euralille, la SEM du versant Nord-Est, la CUDL, la CRCI, de nombreuses chambres consulaires, aménageurs publics, banques et organismes économiques et culturels..., a obtenu l’arrêt du TGV  à Lille.

Mardi 18 mai 1993,
un ciel gris devenu rapidement pluvieux règne au-dessus de Lille, tandis que les soldats du 43e RI attendent devant la gare de Lille, rebaptisée depuis quelques mois Lille-Flandres. 10h25, précédé de quatre rames bleu-gris venues de différentes villes de la région, le TGV présidentiel, barré de tricolore et du drapeau de la communauté européenne, entre en gare.

Accompagné de plusieurs ministres, François Mitterrand, le Président de la République, est accueilli par Pierre Mauroy, entouré de toutes les personnalités régionales.

Cette arrivée du TGV à Lille est l’occasion pour le Sénateur-Maire de mettre en exergue, quelques minutes plus tard, à l’Hôtel de Ville, le climat qui y a présidé : l’union de toutes les forces de la région « privilégiant la défense de dossiers d’intérêt général » contre les rivalités anciennes ou les clivages politiques « pour ne pas laisser passer cette chance ». Pour une fois, la région a su taire ses différences pour obtenir le passage du TGV à Lille.

Le TGV-Nord aurait dû être le premier à circuler en France. Son inauguration avait même été programmée pour le 1er janvier 1983, quand, dix ans plus tôt, Anglais et Français reprennent un projet vieux de deux cents ans, la construction d’un tunnel sous la Manche. Hélas, trois mois après son arrivée au pouvoir, face aux difficultés économiques rencontrées par son pays, le gouvernement d’Harold Wilson renonce à ce vieux rêve. Pour la SNCF, il n’est pas question de s’arrêter. Il y a trop longtemps qu’elle s’intéresse à la grande vitesse. En 1955, deux locomotives électriques ont atteint les 331 km/h. En 1972, une rame, très proche de celles du TGV du réseau Sud-Est, mue par une turbine à gaz, est parvenue à la vitesse de 3187 km/h. Enfin, ce nouveau marché suscite tant de convoitises qu’elle se doit de rester dans le coup.

A l’époque, le Nord s’imposait comme une région propice à l’exploitation des trains à grande vitesse. L’abandon de la construction du tunnel sous la Manche amène, cependant, la SNCF a privilégié l’axe Sud-Est où le premier TGV est mis en service en octobre 1981. Depuis mai 1981, l’alternance politique a joué et Pierre Mauroy est Premier ministre. Son action à Matignon va  être favorable à la région. Un an plus tard, on annonce la construction du TGV vers l’Atlantique et un projet de relation entre Paris-Bruxelles et Cologne est mis à l’étude en 1983.

Pendant toutes ces années, la réflexion sur la création d’un lien fixe sous la Manche s’est poursuivie et à l’occasion du sommet franco-britannique, les 10 et 11 septembre 1981, Margaret Thatcher et François Mitterrand relancent officiellement l’idée. Un groupe d’experts est chargé de reprendre les études économiques et techniques. Nouveau chapitre d’un feuilleton sans fin…

Cette fois, tout s’accélère. Pierre Mauroy quitte Matignon en juillet 1984. Un appel d’offres international est lancé, en mars 1985, pour la construction d’un lien fixe entre les deux pays. Le lundi 20 janvier 1986, à l’Hôtel de Ville de Lille, Margaret Thatcher et François Mitterrand annoncent le résultat de cet appel d’offres. Le 9 octobre 1987, le Conseil des Ministres décide de construire le TGV Nord qui desservira le Nord de la France, l’Europe du Nord et la Grande-Bretagne.

Bonne nouvelle pour la région ! Encore faut-il que le TGV passe par Lille. Pierre Mauroy en est convaincu… depuis qu’il a été élu Maire de Lille en 1973 . Je le cite :  « Autant la constitution d’une région en un écheveau multiple a été un atout au début de l’ère industrielle, autant s’impose aujourd’hui l’idée d’une région fortement structurée, avec une grande capitale, diffusant ses retombées sur l’ensemble des villes du Nord-Pas-de-Calais. ». Hélas la région ne se distingue pas par sa solidarité. Rivalités de beffrois, clivages politiques… ont souvent servi de prétextes au pouvoir parisien pour la bercer de paroles rassurantes plus que de projets d’envergure.

L’ancien Premier Ministre sait parler de sa région. Il a de l’ambition pour elle et il se montre persuasif auprès des milieux politiques et économiques. Dans la cas présent son argumentation est simple « Lille se trouve en haut du tronc commun qui reliera Paris à Bruxelles et à Londres. Donc le TGV doit passer par notre ville et s’y arrêter ». Ainsi, le 14 mars 1987, l’association « TGV-Gares de Lille » est-elle créée dans l’union la plus large. Autour du Maire de Lille se retrouvent bon nombre d’élus (14 villes de la région), mais aussi de décideurs économiques, de chambres consulaires et d’aménageurs pour amener le gouvernement et la SNCF à faire passer le TGV au cœur de Lille.

En décembre 1987, le Premier Ministre, Jacques Chirac, tranche en faveur de la capitale des Flandres. Il annonce sa décision lors d’un voyage à Lille : le TGV s’arrêtera au cœur de la ville, dans une nouvelle gare. Le surcoût de la traverse de Lille coûtera 800 millions de francs. 50 % seront pris en charge par l’Etat, 33 % par le Conseil Régional et 17 % par la Ville. L’arrivée du TGV a été souhaitée par toute la région, mais son tracé soulève quelques oppositions. A Seclin, à Lambersart, on s’oppose au projet retenu. Dans le Mélantois, on craint une dégradation de l’environnement, dans la banlieue Nord-Ouest de Lille, on réclame des protections phoniques. Des mesures financées par la Communauté Urbaine et la SNCF, sont prises pour réduire les nuisances : amélioration de l’aménagement paysager, création de murs antibruits. Si l’opposition ne désarme guère, le chantier de la gare démarre cependant en février 1990.

Ce train n’arrivera pas « dans la Pampa », selon une expression désormais célèbre,  employée par Pierre Mauroy… Mieux il arrivera dans le Lille du XXIe, et à quelques centaines de mètres du centre historique. Autour de la gare Lille-Europe, un nouveau quartier Euralille, centre d’affaires, de commerces et de services international, mais aussi lieu de vie avec ses appartements, ses écoles, ses équipements culturels et sportifs, son parc… , sera édifié.

Malgré l’importance du chantier qui s’échelonne de Paris à Lille, le TGV entre en service commercial avec quelques dizaines de jours d’avance sur le calendrier prévu. Je l’ai rappellé : le TGV effectue son voyage inaugural le mardi 18 mai 93 avec à son bord le Président de la République.

Et le 26 septembre 93, il y a très exactement 10 ans,  le TGV grignote encore le temps, Paris et Lille sont reliées en moins d’une heure. Mais cette fois, c’est toute la région qui en profite. Avec Cambrai et Calais, le TGV dessert 14 villes en direct : Arras, Lens, Béthune, Hazebrouck , Dunkerque, Tourcoing, Roubaix, Croix, Wasquehal, Valenciennes, Douai, Lille…

En 1994, le TGV mettra réellement le turbo. Pour la fin de cette année-là, les premières rames interconnextées assurent la liaison Lille-Lyon en 3h30. Le Tunnel sous la Manche ouvre en mai 1994. Filant à 300 km/h jusqu’à Calais puis à 160 km/h jusqu’à Londres, l’Eurostar met Lille à 2h50 de la capitale britannique. Enfin en 1996, le TGV-Nord est interconnecté au réseau Atlantique et Lille sera à moins de 30 mn de Bruxelles.
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