A l'opéra de Lille, une vision choc et contemporaine du Vaisseau Fantôme de Wagner

Publié le par Guy Le Flécher

La mise en scène spectaculaire que signe Alex Ollé de La Fura dels Baus, pour Le Vaisseau fantôme présenté jusqu’au 10 avril à l’opéra de Lille, embarque les spectateurs pour un périple haletant dans un décor impressionnant, avec de superbes éclairages, une forte cohérence dramatique et une belle direction d'acteurs. Une formidable réussite.

 

Un immense navire occupe toute la hauteur de la scène. Il se soulève et s'abaisse, porté par les vagues. La mer s'agite de roulis, la tempête fait rage. Jamais on n'avait vu un tel ouragan, aussi terrible que poétique, sur une scène lilloise. La furie des flots, la puissance de l'orage, le fracas des éclairs et du tonnerre, tout est d'un réalisme et d'une théâtralité qui servent à merveille le drame de Wagner. Des images d’une force inouïe. Quand le calme revient, une immense ancre est baissée jusqu’au sol, où la mer, métaphore centrale, s’est asséchée pour laisser place à une dune sablonneuse, sur laquelle va se dérouler la terrible malédiction du Vaisseau fantôme (le titre allemand étant "Der fliegende Holländer" : Le Hollandais volant).

 

Mais comment rendre réels, dans une vision contemporaine, des concepts comme la malédiction, l’éternité ou la pureté, et quel sens leur donner ? À cette question, Alex Ollé a su apporter des réponses crédibles et pertinentes qui parlent au public d’aujourd’hui. “L’amour, la mort, l’éternité, la malédiction, la pureté, la passion, la terreur, ce sont des concepts et des émotions dont la texture a changé. Il faut alors les soupeser à nouveau, les rendre réels, possibles”, précise le metteur en scène catalan. Bref, les replacer dans une perspective contemporaine.

Ainsi, dans la version présentée à Lille, nous sommes dans un cimetière de bateaux du sous-continent indien, au port de Chittagong, où Le Vaisseau fantôme s’est échoué. Des hommes et des femmes, mi-pirates, mi-esclaves, en tous cas fantômes, travaillent à la démolition des carcasses des vieux navires, vaisseaux fantômes d’aujourd’hui.

 

La troupe de La Fura del Baus a pour cela conçu une scénographie aussi monumentale que symbolique : au fur et à mesure de l’histoire, la vieille embarcation du Hollandais est progressivement mise en pièces et reste suspendue au bout de grosses chaines, au-dessus des têtes des personnages, telle une grave menace. Les ouvriers vaquent à leurs occupations, montent et descendent des échelles qui pendent par-dessus bord. Au moment où la pièce atteint son point culminant, pratiquement tout le bateau du Hollandais aura disparu de la scène, « comme un animal mort rongé par les termites. »

 

L’Opéra de Lille a une relation particulière avec cette oeuvre puisque la création française du Vaisseau fantôme a lieu à Lille le 28 janvier 1893, et , en 1998, l’Opéra de Lille a fermé ses portes suite aux représentations d’une autre version du Vaisseau fantôme pour cinq années de travaux de rénovation.

Ce nouveau Vaisseau fantôme présenté à l’Opéra de Lille jusqu’au 10 avril est une coproduction avec l’Opéra de Lyon, créée en 2014. Remonté avec une toute nouvelle distribution, à l’exception du Hollandais qui était déjà interprété à Lyon par Simon Neal, le spectacle est dirigé par le chef d’orchestre norvégien, Eivind Gullberg Jensen, avec l’Orchestre national de Lille et le Choeur de l’Opéra de Lille dont l’effectif est doublé pour répondre aux besoins spécifiques de l’œuvre (62 chanteurs).

Dès l’ouverture, le souffle emporte tout. Musique vitale, tumultueuse rendue avec brio par le chef, avec plaisir par les musiciens de l’ONL. Le Hollandais (le britannique Simon Neal) possède le charisme et la puissance attendus. Senta (la suédoise Elisabet strid) incarne joliment une femme en quête d’absolu, face à un père empressé et obséquieux (Patrick Bolleire). Et Erik (David Butt Philip), fiancé éconduit, tire son épingle du jeu. On est séduit par Mary (Deborah Humble) en gouvernante. Les choristes, très sollicités, font preuve d’une grande maîtrise (musclée pour les femmes, tout en dentelle pour les femmes), tant vocale que scénique. Et méritent tous les éloges. On se doute bien qu'avec d'aussi excellents chanteurs, un orchestre très en forme et un incroyable décor, dans une telle oeuvre, on ne peut passer qu'une soirée formidable. Par GUY LE FLECHER

  1. Le Vaisseau fantôme est tiré d'un épisode des Mémoires de M. Schnabelewopski, récit imaginaire de Heinrich Heine, le grand poète allemand que Wagner rencontra en exil, à Paris. Il s'agit d'une version nordique du mythe d'Ahasvérus, le Juif errant, que Heine prétendait avoir vu sous forme de pièce dramatique sur une scène d'Amsterdam.

 

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