SAFET ZEC, LA FORCE DE LA PEINTURE, LA FORCE DE LA VIE

Publié le par Guy Le Flécher

Le musée de l’Hospice Comtesse de Lille accueille jusqu’au 15 janvier 2017 l’œuvre bruissante d’émotions du peintre bosniaque Safet Zec. Une œuvre traversée par la fragilité de l’existence, à l’image de la composition poignante que l’artiste a tenu à réaliser spécialement pour l’exposition.

 Par Guy Le Flécher

Safet Zec, qui revient à Lille 15 ans après une première exposition à la Grosse Madeleine en 2001, était très connu dans son pays avant les guerres en ex-Yougoslavie. Il avait un atelier à Sarajevo et un autre dans un petit bourg médiéval, Pocitelj. Né en 1943 à Rogatica en Bosnie-Herzégovine, Safet Zec dessine dès l’enfance. Avec une maîtrise qui provoque l’enthousiasme de son entourage et oblige son père à se rendre à l’évidence : son fils ne sera pas artisan cordonnier comme lui. Après des études à l’Ecole des Arts appliqués de Sarajevo puis à l’Académie des Beaux Arts de Belgrade, il devient la figure centrale du mouvement appelé le « réalisme poétique ». En 1992, la guerre le contraint à l’exil. Il vit un déracinement douloureux qui bouleverse sa vie et celle de sa famille.  Un exil nécessaire, non seulement pour continuer de travailler, mais tout simplement pour continuer à vivre.

RETROUVER UNE IDENTITE

En évoquant cette histoire, en regardant l’œuvre de Zec, on ne peut s’empêcher de penser aux évènements internationaux si lourds, si présents dans les esprits qui conduisent aujourd’hui encore des milliers de femmes, d’enfants et d’hommes contraints par des circonstances effroyables, à tout laisser derrière eux. Pour Safet Zec, c’est à l’âge de 50 ans qu’il fallut tout recommencer.

La main de Zec n’oubliera jamais la guerre. Son art en est transformé. Les mains, jointes, ballantes, tendues ou liées, les drapés et les étreintes symbolisant la tragédie d’un peuple, celui de Srebrenica. A Udine d’abord, puis à Venise, privé du repère de ses œuvres qu’il a du abandonner – et qui, pour certaines, nombreuses, seront détruites pendant la guerre –, il lui faut retrouver une identité. Mais la puissance et la diversité d’une création qui maîtrise toutes les techniques du dessin et de la gravure comme de la peinture, lui vaut d’être rapidement reconnu et exposé dans divers musées en Europe et d’entrer dans les collections les plus importantes.

TECHNIQUES MULTIPLES

A Comtesse, l’exposition révèle  l’expression d’un regard profond sur le monde et l’humanité. La centaine de peintures, gravures, dessins et objets plus personnels rassemblés méticuleusement représente 15 années de recherche et de passion

Des façades monumentales de Sarajevo aux plus modestes de Venise, les portes et les fenêtres closes ouvrent la voie aux thèmes que Zec explore en virtuose. Dans une maîtrise parfaite de techniques multiples : de la tempera à l’huile, en passant par le crayon, le dessin, l’encre de Chine, la pointe sèche sur la plaque de cuivre…

Cette remarquable maîtrise se retrouve aussi bien dans les détails des objets les plus familiers, que dans le mouvement des drapés qui couvrent certaines figures que Zec se plaît à convoquer, telle l’Antique Victoire de Samothrace.

TOUTES LES TEINTES DU BLANC

Admirez ces blancs de lits défaits, de peignoirs, de torchons jetés sur les dossiers de chaises, de nappes, de bâches dont les plis s’affaissent et se courbent au fond d’une barque… Ou encore le blanc d’une chemise dont un corps se couvre ou celui d’une chemise qu’on enlève. Du voile protecteur au dévoilement intime.

Toutes les teintes du blanc, singulière couleur qui aurait renoncé à en être une, sont ici à découvrir ou à redécouvrir ; c’est la présence intense de personnages « anonymes » que cette peinture impose. Pourtant, les  blancs  de Zec ne sont pas muets, ils parlent. 

C’est aussi la vie, qui s’incarne chez Zec dans la représentation de l’homme. Le visage est effacé, le reflet de l’âme anonyme se lit dans le geste éloquent des mains qui se croisent, parfois se tendent, ou encore étreignent compulsivement. C’est là que réside toute la force du message, et la puissance du langage de l’artiste.

DANS L’INTIMITE DU PEINTRE

Plus encore que lors de l’expo de 2001 à la Grosse Madeleine, nous entrons  véritablement dans l’intimité du peintre. La table d’atelier tout droit venue de Venise témoigne de la manière dont s’ordonne son travail, au milieu des brosses, de seaux, des bols, et du désordre qui règne. Cet atelier donne la sensation de s’y sentir si bien. C’est le lieu où se déroule un travail continu, dont la répétition s’affirme comme l’une des clefs majeures de l’approfondissement de ses thèmes, ainsi déclinés en séries. Telles ses peintures de l’Aquarelliste, présentant ce visage bouleversant de l’homme abandonné à sa piètre condition d’artiste, inspirées par une photographie de Robert Doisneau. Une image devenue le point de départ de la fabrication d’autres, celles de Safet Zec

Dans la dernière salle de l’expo, au milieu des gravures et des plus petits formats, quelques carnets d’études ouverts illustrent parfaitement, dans l’aboutissement de ce parcours intime, les tourments d’une inlassable recherche artistique.

 

. Jusqu’au 15 janvier 2017, Safet Zec la peinture et la vie, au musée de l’Hopice Comtesse, 32 rue de la Monnaie. Lundi 10h-18h. Du mercredi au dimanche 10h-18h. Fermé le lundi matin et le mardi toute la journée

 

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