Lumières d’artistes, lampions de la nuit

Publié le par Guy Le Flécher

En 2004, à Lille, ils ont réinventé un espace d’aventure en pleine ville. Ils ont réhabilité un usage ludique de nos rues en créant le dépaysement, le changement successif d’ambiances. Ils nous ont fait rêver, ils nous ont révélé la diversité de l’approche de la ville, ils y ont ajouté de la sensibilité et de l’émotion. Buren, Mézières et les autres : des « urbartistes », des enchanteurs du bitume. Toute une architecture éphémère, mêlant à des éléments fixes d’autres, évolutifs ou mobiles. Les métamorphoses ont investi, travesti la ville. Des projets d’artistes, de plasticiens, de designers pour propulser notre ville dans un décalage urbain. Lille cité mutante, ville en mutation, s’est remodelée au fil du temps et à coup d’imaginaire !

Lille brille, Lille pétille, Lille s’émoustille, Lille fourmille, Lille deux-mille-quatrille. Une ville, une vraie ville toujours avide d’inattendu. Excitante, troublante. C’est bien connu, à Lille tout est possible. Lille 2004 a entrepris de chambouler la ville et d’y disséminer partout des graines d’art contemporain.
Lille exalte toutes les émotions, la rue en déborde chaque seconde. C’est l’une des capitales de l’adrénaline. Lille, ville-monde ?

Attention, vertige ! Vertige visuel et spatial, sonore et temporel. Vertiges dans la rue, dans la nuit. La ville s’est transformée en théâtre. En un espace sensoriel, en un entre-deux temporel palpitant de mille idées, mille visions, mille illusions. A la fois plongé dans la foule et plongé dans l’imaginaire des artistes. Par moments n’avait-on pas l’impression d’être un de ces petits bonshommes des jeux vidéo, happé par une virtualité hypnotique ? Vertiges intérieurs aussi. Les artistes nous  ont baladé, nous ont dérouté, nous ont égaré. Mais on s’est retouvé. Comme si soudain toutes les architectures de Lille enfin se dévoilaient, devenaient visibles, lisibles.

La gare en rose

Au cœur de la ville et des anneaux de vitesse, la métamorphose de la gare Lille Flandres, lieu de retrouvailles et de transit, plongeait immédiatement les visiteurs dans l’univers Lille 2004. Au moyen d’éclairages ambiants et de filtres colorés apposés sur 10 000 m2 de verrières verticales et horizontales (charpente à 25 m de hauteur et larges fenêtres), Patrick Jouin a illuminé l’imposant bâtiment. Les voyageurs, baignés de rhodamine, couleur de Lille 2004, vivaient d’étonnants scintillements conçus par l’éclairagiste Hervé Descottes. Une idée simple, mais en même temps une signalétique assez radicale pour entrer en douceur dans la ville en fête. Quelque chose d’irréel, de doux, de rose. Rose aux joues, rose au cœur. Une ambiance qui donnait bonne mine. Une touche féminine dans l’univers viril des trains. Calmant et merveilleux. Merveille des techniques qui font rosir les voûtes au-dessus de vos têtes, autour de vous, autour des autres que, pour une fois, vous regardez.

La ronde de nuit
Au cœur d’un ensemble architectural plus que tricentenaire, à l’atmosphère de tableau flamand, Daniel Buren, l’homme aux fameuses rayures de 8,7 cm, a imaginé une ronde de lumière au mouvement perpétuel. Le cercle de 28 m de diamètre était composé d’un tube translucide recouvert de bandes adhésives (bien sûr de 8,7 cm de large), alternées blanches et rouges, dans lequel était fixée une guirlande lumineuse, soutenue par des mâts à 4 m du sol. Les ampoules s’éclairaient les unes après les autres, dans un mouvement rapide, infini et perpétuel. Un serpent de lumières au cœur d’un espace évoquant plusieurs siècles d’histoire. Festive, cette Ronde de nuit de Daniel Buren, tel un manège, métamorphosait l’Ilot Comtesse dès la nuit tombée. Une rave pour enfants, animée par Laurent Garnier y a été organisée pour la fête finale.

 Place des Bleuets, le hasard et les mathématiques avaient rendez-vous. Rigueur scientifique et poésie se sont unis pour créer des courbes de lumière en forme de pétales de rose. Un calcul d’angle à partir des décimales du nombre Pi (3,141592653589…) créait un joyeux enchevêtrement d’arcs lumineux de néon bleu sur les deux murs principaux de cette place emblématique, à la croisée de la ville ancienne et de la ville nouvelle. Avec cette installation, François Morellet, artiste que l’on dit parfois dadaïste, poursuit son exploration géométrico-mathématique pour une métamorphose urbaine pas si rigoureuse puisque les contraintes et systèmes qu’il s’impose sont « de préférence absurdes ».

Le chandelier en néon de Sarkis, artiste originaire d’Istanbul, reprend à l’échelle de 1/10° l’architecture de cet ancien écrin de verdure que fit bâtir Charles Rameau au 19ème siècle à la gloire de l’art et des fleurs. Comme une représentation mentale du lieu qui le contient, le lustre invite à une expérience où l’espace et l’œuvre s’interfèrent. Cœur éclairant de la serre du palais Rameau, vert comme l’idée de végétal, il habite l’espace jour et nuit, donnant l’impression que l’endroit est habité, au sens propre et figuré du terme. Le lustre installé par Sarkis sous la coupole de verre du palais Rameau fait écho à ceux de Gaetano Pesce, dont la générosité chatoyante réchauffe le vaste hall minéral du palais des Beaux Arts.

 Grâce au Travelling Métro de Bernard Godbille et Pierre Semal, aux stations Cormontaigne et Montello, les passagers étaient emmenés en microvoyage vers des villes lointaines. En pleine vitesse, ils découvraient des instantanés colorés d’univers urbains. De l’air dans les rames, voilà le métro qui vous offrait une perspective de voyage lointain. Un visage inhabituel de la rame, comme ouverte sur le monde. Cela commençait dans le schwartz total du tunnel où s’engrouffrait le métro. Soudain, du gris sourd et sombre, les images émergeaient et défilaient, très vite, trop vite puisque déjà on atteignait Cormontaigne.

En contrôlant avec énergie et subtilité les 1 880 néons de la Tour Lilleurope de Claude Vasconi, Kurt Hentschläger a fait de cette tour un jaquemart lumineux et hypnotique de 20 étages, visible à 30 km à la ronde, baptisé Nature 04. Comme jadis le colosse de Rhodes ou le phare d’Alexandrie, il annonçait aux voyageurs ferroviaires ou routiers l’approche de la ville de Lille. Symbolique repaire au milieu de la nuit. Insolite respiration d’une ville endormie. La turbine tertiaire chère à Pierre Mauroy, le nouveau quartier d’affaires entrait en scène dès le crépuscule. Et s’estompait aux premières lueurs de l’aube. Méditation sur l’architecture et le temps.

Avec La source d’abondance, François Boucq, Grand Prix du Festival de BD d’Angoulême, proposait un cœur gonflable, étonnant et émouvant. Fontaine extravagante, haute de 6,5 m, installée d’abord à Tourcoing, puis devant la gare de Lille. Au même moment, les Australiens de Bambucco plantaient leurs arches de bambous (30 m de haut), tout au long de la rue Faidherbe.

Dead Chicken  est un collectif d’artistes très connus en Allemagne, notamment à Berlin, où ils sont les stars du Mitte, le quartier où ils résident. Ils ont proposé une galerie de monstres composée d’une douzaine de créatures mécaniques, turbulentes, agitées, comiques ou effrayantes. Une ménagerie du troisième type, un zoo moderne pour un étourdissant théâtre d’humour décalé. Vous pouviez approcher sans reproche, vous ne risquiez que la peur.

Annette Messager manipule les objets et les images. Elle crée un rapport intimiste entre le quotidien et les rêves. Ainsi s’est-elle emparé de la salle des malades du Musée de l’Hospice Comtesse pour une installation mettant en scène les rêves et obsessions des anciens pensionnaires du lieu. Spectres, fragments de corps, dispositif sonore pour jouer de l’Histoire et des intimités. Un moment de poésie pure comme une indispensable bulle d’oxygène dans un monde asphyxié.
Annette Messager, née à Berck, est une artiste hors-norme, hors-jeu. Très sollicitée. En 2004, elle était aussi au Couvent des Cordeliers à Paris pour une expo autour du voile. En 2005, elle représente la France à la Biennale de Venise.

Façades, hall de la gare, tour d’Euralille, Porte de Roubaix, jardin Comtesse, place aux Bleuets ont été repeints à grands coups de filtres, de projecteurs, d’effets lumineux. Designers, architectes et artistes ont fait brillé la ville. Il ne s’agit plus d’éclairer simplement, cela se fait partout depuis qu’en 1878, Edison a inventé la première lampe à incandescence. Il s’agit de créer des univers singuliers, qui varient selon l’humeur ou l’heure. Au besoin de lumière s’ajoute le luxe de l’émotion. On ne parle plus d’éclairage mais d’ambiance. Créations ludiques, poétiques et polysensorielles.

Dès que tombe le crépuscule, la ville prenait d’autres couleurs. Un opéra cinétique. Une composition lumineuse. Des artistes ont réinventé les nuits de la ville, transformée en lieu de déambulation poétique. Sans paillettes, ni lasers. Jusque dans les lieux les plus incongrus. Des sculpteurs de lumière, des plasticiens manipulateurs d’une matière immatérielle. Aux antipodes des traditionnelles illuminations et des fastes tapageurs. A l’opposé des éclairages chocs qui submergent les villes de leurs flots impudiques. A Lille, de petites touches lumineuses.
A chaque intervention, l’artiste plonge dans les entrailles du lieu comme dans un organisme vivant. A la recherche de ses énergies cachées. Reste ensuite à traduire son identité en pulsations d’ombres et de lumières.

 Un stupéfiant mariage d’art et de technologie, qui réveille les imaginaires. Une nouvelle dimension donnée à l’espace : la vision nocturne est aussi une composante de l’ordonnancement architectural. Parce que la vie ne s’arrête pas au coucher du soleil. Parce que la lumière magnifie, métamorphose et suscite des états d’âme. Alors que depuis la nuit des temps, l’obscurité cristallise angoisses et fantasmes.
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