MOLIERE DANS LE MIROIR DE CHRISTOPHE RAUCK

Publié le par Guy Le Flécher

Christophe Rauck monte à Lille au Théâtre du Nord, «Amphitryon» avec des acteurs moscovites. Un Molière en russe surtitré en français.

Après avoir monté il y a un an à Lille Figaro divorce d’Ödön Von Horváth (primé meilleur spectacle créé en province pour la saison 15/16 par le syndicat de la critique), le directeur du Théâtre du Nord, Christophe Rauck, revient au XVIIe siècle, pour aborder une pièce qu’il considère comme « parfaite », écrite en 1668 par Molière dont il ne voulait pas monter « un tube » tel Le Misanthrope ou Tartuffe. L’écriture d’Amphitryon est très libre : Molière s’amuse avec les vers, s’émancipe du carcan classique de l’alexandrin et y mêle des octosyllabes. Ce procédé inventif donne souplesse et fluidité et en fait un petit chef-d’oeuvre théâtral et poétique, qu’il nous est donné d’entendre en russe, mais fort heureusement surtitré en français !

Aventure collective

Car, cet Amphitryon est d’abord le fruit de la rencontre de Christophe Rauck avec les comédiens de l’Atelier Théâtre Piotr Fomenko, du nom du vénérable maître de la mise en scène dont la vie fut meurtrie par le régime soviétique et qui disparut en 2012. Huit comédiens russes (deux femmes jumelles, six hommes), les Fomenkis comme on les appelle là-bas, jouent Amphitryon. Christophe Rauck est le premier metteur en scène étranger à les diriger. Il a emmené dans cette aventure collective plusieurs membres du Théâtre du Nord : la scénographe Aurélie Thomas, la dramaturge Leslie Six, la costumière Coralie Sanvoisin, le créateur sonore Xavier Jacquot et le créateur lumières Olivier Oudiou. La première a eu lieu le 31 janvier 2017 à Moscou ; la première française le 28 avril à Lille.

Une histoire de pouvoir

"Amphitryon" raconte comment le dieu Jupiter (Vladimir Toptsov) prend les traits d’Amphitryon (Andrei Kazakov), le mari d'Alcmène (Ksenia Koutepova) parti à la guerre, pour passer une nuit avec la belle et ainsi concevoir Hercule. Le dieu Mercure (Ivan Verkhovykh) l'aide en prenant les traits du serviteur Sosie (Karen Badalov), époux de Cleanthis (Polina Koutepova). Si ces deux impostures créent l’esprit comique de la pièce, Molière nous parle d’abord du pouvoir et de la peur qu’il fait naître. C’est une histoire de désir plus qu’une his­toire d’amour qui devient une histoire de dépen­dance et de démence. Jupiter prend le pouvoir sur Alcmène ce qui fait perdre le pouvoir à Amphitryon.

Ingénieuses trouvailles

 

Voilà une belle rencontre entre des acteurs russes du XXIe siècle et un texte français du XVIIe. Un voyage entre deux cultures et deux expressions, dont la richesse se traduit par d’ingénieuses trouvailles de mise en scène : un simple dessin au sol avec du ruban adhésif qui se colle et se décolle, figure sommairement la maison d’Amphitryon ; un large miroir surplombe le plateau et renvoie acteurs et spectateurs à leur image, au milieu du surgissement soudain de fumées, de confettis, de ballons multicolores, de bougies tremblotantes qui s’allument, s’éteignent, s’allument encore, figurant un ciel étoilé. Reflets tantôt fidèles, tantôt déformés d’un miroir dédoublant le monde en le reflétant, à en perdre tous ses repères. La réussite est au rendez-vous. On applaudit.

 

Par Guy Le Flécher

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